Très bonne idée Jeff.
A mon avis Bosch est un clairvoyant psychologique. Il a certainement développé le sens de l'auto-observation psychologique.
C'est tellement réaliste de notre monde intérieur.
Le VM n'en a pas parlé mais la culture hispanique le connaît bien.
Il semble également avoir été alchimiste et tarologue.
J'ai un tarot reconstitué avec ses tableaux et dessins.
Un excellent magazine sur lui. Je vous envoie le texte qui en a été extrait (meilleur que Wikipédia).
BIOGRAPHIE
Nous ne savons rien ou presque de la vie de l'un des plus grands peintres des Flandres, et guère plus de son œuvre. Jacques Combe, l'un des principaux spécialistes de Bosch, remarquait en 1946 que ses tableaux - une quarantaine seulement attribués avec certitude - posaient d'innombrables problèmes d'interprétation d'autant plus que les documents ne nous apprenaient rien sur sa formation, ses maîtres, ses influences, ses goûts, ses amitiés et ses rapports avec les autres peintres. Pas un seul de ses tableaux n'est daté et il n'existe aucun témoignage d'époque sur lui.
La recherche a légèrement progressé dans le domaine de l'interprétation, mais les informations biographiques sont restées ce qu'elles étaient. Les seules sources directes qui nous permettent sommairement de reconstruire sa vie sont celles des archives de la Confrérie de Notre-Dame dont Bosch fut un membre influent et pour laquelle il exécuta quelques travaux, tous perdus à l'exception de l'Epiphanie, aujourd'hui au Musée du Prado de Madrid.
Son lieu de naissance, d'abord : "Hieronymus Van Aken, alias Bosch, insignis pictor", comme le définit l'acte de décès conservé à la Confrérie, est né à Bois-le-Duc, petite ville du Brabant à laquelle il emprunta son nom d'artiste. Sa famille s'appelait en effet Aeken ou Aken, ce qui signifie qu'elle était originaire d'Aachen, c'est-à-dire Aix-la-Chapelle en Allemagne. Quant à la date, on l'a déduite de l'analyse stylistique de ses œuvres. On pense qu'elle se situe autour de 1450 puisque ses tableaux montrent qu'il connaissait l'art flamand de la première moitié du siècle, des "primitifs" de l'ère hollandaise (Geertgen Tôt sint Jans, Dierick Bouts et le Maître de la Virgo inter Virgines) à ceux de l'ère flamande comme Robert Campin, dit le Maître de Flémalle, et le grand Jan Van Eyck. Son père et ses oncles étaient peintres; son grand-père Jan Van Aken, mort en 1456, était même un maître estimé.
Au XVe siècle, Bois-le-Duc était un centre provincial florissant grâce à ses nombreuses industries. On y fabriquait en particulier des couteaux, des aiguilles et des tissus. Lorsque Bosch naît, les Flandres sont dominées par les ducs de Bourgogne. Lorsqu'il meurt, elles appartiennent à la maison d'Autriche et depuis plusieurs décennies sont en proie à des guerres politiques et religieuses qui mettront le pays à feu et à sang.
On ne sait rien de la formation de l'artiste, mais il est probable qu'elle ait eu lieu dans l'atelier familial, et que le jeune homme ait vu dans des églises quelques-uns des chefs-d'œuvre récents de Van Eyck ou de Roger Van der Weyden ou feuilleté ces fameux livres d'heures décorés de miniatures tels que les Très riches heures du duc de Berry ou le Cœur d'amour épris attribué au roi René, ou bien encore les Heures de Milan de Jan Van Eyck. Ses paysages et le soin minitieux qu'il apporte aux moindres détails en sont la preuve. L'influence de la vie religieuse de son pays, rythmée par les cérémonies, les processions, les mystères, les sculptures bizarres et terrifiantes qui décoraient la partie la plus ancienne de la cathédrale Saint-Jean à Aix-la-Chapelle, a aussi puissamment contribué à la formation de son goût.
En 1478, il épouse Aleyt van de Meervenne, fille d'un seigneur aisé, qui lui apporte en dot une maison avec un terrain dans la campagne voisine, à Oirschot. Nous ne savons pas si le couple eut des enfants car aucun registre n'en fait mention.
Les archives de la Confrérie de Notre-Dame de 1486 nous apprennent que "Jheronimus Anthonisoen (le fils d'Antoine) est reçu par ses confrères". C'est une nouveauté importante dans la vie de Bosch même s'il nous est difficile aujourd'hui de mesurer pleinement ce qu'elle signifie. Entrer dans cette Confrérie, fondée en 1318, impliquait non seulement la possibilité de recevoir des commandes, d'autant plus facilement qu'il était le seul peintre du pays, mais aussi l'insertion à plein titre dans les rangs de la classe dirigeante et la participation à la gestion de la vie publique. Tout le monde n'entrait pas dans les confréries médiévales : les pauvres en étaient automatiquement exclus puisqu'ils ne pouvaient payer leurs cotisations, les femmes aussi puisque considérées comme impures et inférieures, et enfin tous ceux qui ne respectaient pas les préceptes de la religion et de la morale. Les membres de la Confrérie de Notre-Dame étaient des laïques, mais ils portaient la tonsure et les vêtements cléricaux. Ils s'occupaient de la "politique des images" pour le compte du clergé de Saint-Jean.
En 1488, Bosch est admis dans le cercle restreint des "notables" de la Confrérie, événement célébré par le "banquet du cygne", l'oiseau-emblème de la Confrérie. Il est étrange qu'un animal ordinairement associé à la luxure et à la tromperie dans les traités allégoriques et les bestiaires médiévaux soit devenu l'enseigne d'une société religieuse strictement respectueuse des préceptes catholiques. Pour certains, ce banquet du cygne fut en réalité une cérémonie d'initiation du nouvel adepte au sein d'une société magique et secrète. Le tableau représentant les Noces de Cana, nourri de symboles rosicruciens et alchimiques, serait un témoignage caché de ce rite.
Quoiqu'il en soit, l'appartenance au groupe des notables devait représenter un pas en avant important dans la hiérarchie puisqu'au mois de juillet de la même année, les registres de la Confrérie notent que Bosch reçoit solennellement ses confrères chez lui et leur offre un riche banquet.
Sa carrière a prospéré. En 1492 ou l'année suivante, on lui commande des cartons pour les vitraux de la cathédrale Saint-Jean de Bois-le-Duc. De ces vitraux comme d'autres oeuvres destinées à la cathédrale et citées dans les registres, il ne reste rien car elle fut pratiquement détruite par la fureur iconoclaste des protestants en 1629. En 1504, on lui verse un acompte de trente-six livres pour un tableau haut de neuf pieds et long de onze, "où doit estre le Jugement de Dieu, assavoir paradis et enfer, que Monseigneur lui avait ordonné faire pour son très-noble plaisir". "Monseigneur" est Philippe le Beau de Habsbourg, nouveau seigneur des Flandres.
Les registres de la Confrérie nous apprennent qu'il est mort en 1516. Cette même année, on inscrit dans l'inventaire des œuvres d'art de Marguerite d'Autriche, régente des Pays-Bas, un tableau de Bosch, La Tentation de saint Antoine, aujourd'hui au Musée National d'Art ancien de Lisbonne.
Mais la plus grande partie des œuvres de Bosch a été acquise par l'Espagne où sa peinture ambiguë, fantasmagorique et menaçante fascina d'abord Don Felipe de Guevara qui acheta les œuvres de l'artiste en Flandres, puis Philippe II qui reprit une grande partie de la collection du gentilhomme.
Pour les Espagnols de l'époque, l'œuvre de Bosch représentait "l'illustration de la variété du monde". Il en fut ainsi pour les générations de rares privilégiés qui approchèrent ses tableaux jusqu'à la fin du XIXe siècle. En effet, en 1604 déjà, Karel Van Mander, biographe des peintres hollandais, admettait ne rien savoir sur la vie et guère plus sur l'œuvre de Bosch. Malgré l'indigence de la critique sur l'artiste jusqu'à nos jours, certains ont su porter des jugements particulièrement intéressants, comme celui du Frère Joseph de Sigiienza au début du XVIIe siècle, d'une extrême modernité : "La différence qui existe entre les peintures de cet homme et celles des autres consiste en cela : les autres cherchent à peindre les hommes tels qu'ils apparaissent à l'extérieur, lui et lui seul a l'audace de les peindre comme ils sont à l'intérieur..." Il ne s'agit donc pas de fantasmagories bizarres, mais d'une enquête féroce et courageuse sur les enfers et les paradis qui se cachent au fond du cœur humain.
Il faudra attendre le début de notre siècle et la psychanalyse pour que l'on s'intéresse de nouveau à Bosch. C'est l'éclosion du symbolisme, du dadaïsme, du surréalisme. Bosch est alors reconnu comme un prophète, un précurseur subversif par tous ceux qui veulent faire du hasard et du rêve l'instrument pour révéler des mondes intérieurs inconnus et interdits. Max Ernst et Salvador Dali se sentiront de "nouveaux Bosch".
Cette "redécouverte" de l'univers de Jérôme Bosch était à sens unique et ne rendait pas entièrement compte de son œuvre. Pour ces hommes du XXe siècle, l'artiste représentait la révolte et la liberté. Mais on laissait entièrement de côté les implications historiques, spirituelles et anthropologiques de sa peinture. Ce ne sont pas les artistes, mais les historiens, les anthropologues, les linguistes qui permettront de reconstruire le monde magique et traditionnel de Bosch, disparu dans le choc violent des guerres de religion.
Pour bien comprendre la signification profonde, les symboles et les angoisses que Bosch exprime dans ses tableaux hurlants, il faut situer son activité dans le substrat de croyances, de terreurs et d'espérances qui compose la culture du Moyen Age finissant.
Ses toiles mettent en image des cauchemars et des obsessions nourris de symboles sexuels et de délires mystiques. Les portes de l'Enfer grandes ouvertes libèrent Satan et sa cohorte de démons, représentés sous des formes monstrueuses et fantastiques, qui envahissent le monde corrompu dans l'attente de la Fin des temps et du Jugement dernier.
Cette interprétation expressionniste du monde et de la vie, qui a fait couler beaucoup d'encre mais qui reste encore mystérieuse, serait le fruit de la personnalité contradictoire et tourmentée de Bosch, hérétique, rebelle, peut-être mage déçu, croyant fanatique, qui réagirait à la corruption en illustrant pour les condamner les horreurs et les obscénités du monde.
Elle s'explique aussi par son appartenance à la Confrérie de Notre-Dame qui cherche à répandre un nouvel esprit religieux contre les sectes hérétiques et la corruption du clergé. Les Sept Péchés capitaux sont contenus chacun dans une tranche du cercle dont le centre est marqué par le Sauveur.
La représentation des sept péchés est simple et immédiate, très loin du symbolisme compliqué et mystérieux des œuvres suivantes. Dans les quatre "tondi" aux coins du panneau, l'auteur a représenté les Quatre Temps : la Mort, le Jugement, l'Enfer, le Paradis.
Les thèmes du Jugement, de l'Enfer et du Paradis seront repris par Bosch dans le Triptyque du jugement et dans les panneaux latéraux du Triptyque des délices. La Mort, elle, renvoie à l’Ars Moriendi.
Ce panneau est la partie centrale d'un triptyque. Il illustre un vieux proverbe flamand: "Le monde est un chariot de foin dans lequel chacun prend ce qu'il peut". Bosch place au centre de la scène le gros tas de foin sur la charrette traînée par les démons de l'avidité et situe autour et au-dessus de la charrette une série d'épisodes dans lesquels il illustre avec un sarcasme féroce la véracité de l'adage.
Derrière la charrette, le pape en personne, l'empereur et la gent noble avancent en procession tandis qu'au premier plan, à droite, un groupe de religieux a déjà obtenu sa part de foin ; autour, hommes et femmes se disputent furieusement pour essayer d'attraper comme ils le peuvent, avec des fourches et des crochets, une partie du chargement.
Sur le tas de foin, un couple d'amoureux et un trio vocal et instrumental (une dame, un chanteur qui indique la partition, un élégant jeune homme avec un luth assis sur l'habit de la dame) restent indifférents aux tentations.
Trois figures symboliques font pendant aux cinq personnages qui se sont élevés au-dessus des passions et de l'avidité : un démon blanc ailé, à droite, qui joue de la flûte avec son nez ; un ange, à gauche, qui lève les yeux au ciel où le Christ apparaît entre les nuages ; et un homme à demi caché derrière un arbre avec un long bâton auquel est attachée une jarre, symbole de la luxure.
Que signifie donc ce groupe ? Sans doute que, même lorsqu'on est distrait des passions du monde par l'amour ou la musique, la menace du démon est toujours présente. Comme dans toutes ses œuvres, Bosch caractérise chacun de ses personnages et décrit en détail chaque épisode, en l'enrichissant de symboles et d'allégories.
L'incroyable imagination de Bosch et sa créativité de visionnaire sont à leur plus haut niveau dans le grand triptyque baptisé Le Jardin des délices. Cette œuvre est un extraordinaire échantillon d'inventions fantastiques, d'expériences émotives placées les unes à côté des autres, des nus féminins très doux à côté d'absurdes machines diaboliques, de tendres petits animaux à côté de bêtes horribles et d'instruments menaçants, de splendides coins de paysages à côté d'altérations monstrueuses.
Il y a deux interprétations principales. L'une, proposée par Wilhelm Fraenger, voit dans ce système allégorique et symbolique complexe une représentation des doctrines d'une secte hérétique mystérieuse, celle des Adamites, qui, à travers des rituels de promiscuité sexuelle poussait ses adeptes à la jouissance sans frein et à l'amour physique.
Considéré de ce point de vue, Le Jardin des délices serait la représentation d'une orgie rituelle des Adamites de Bois-le-Duc. Mais il n'existe aucun document prouvant que Bosch et ses concitoyens aient appartenu à cette secte ou même qu'elle existât encore au XVIe siècle.
L'autre interprétation voit dans le panneau central du triptyque une description de l'humanité prisonnière de ses vices : ces hommes et ces femmes nus entourés d'une quantité incroyable d'animaux dans un décor fantastique font allusion, par leurs attitudes et leurs gestes symboliques, aux péchés et aux vices.
Sur le volet de gauche, Bosch a représenté la création d'Eve, l'origine du péché : le Créateur est entre Adam, assis par terre, et Eve à genoux au milieu d'un jardin imaginaire peuplé d'animaux réels et fantastiques. Sur le volet droit, il a illustré l'Enfer, la punition des péchés : les démons ont les formes monstrueuses d'animaux qui semblent nés de cauchemars terrifiants. Ils tourmentent et dévorent hommes et femmes dans un décor de tragédie.
Le volet droit du triptyque du Jardin des délices représente une vision d'enfer avec au centre une figure en forme d'œuf ouvert au fond et appuyé sur des jambes-bras pareils à des arbres qui s'enracinent dans deux barques ; le visage qui semble nous regarder au-dessous d'un grand couvre-chef est, pense-t-on, celui de Bosch qui signe de la sorte son œuvre tout en faisant humblement figure de pécheur parmi d'autres pécheurs. Dans l'œuf se déroule une scène de la vie quotidienne aux dimensions menaçantes : des personnes autour d'une table dont l'une est assise sur une sorte de grenouille tandis que sur le disque qui surmonte la tête se promènent d'inquiétants personnages autour d'une espèce de cornemuse (symbole phallique, indicateur du péché de chair). Cette cornemuse est d'une certaine façon l'enseigne de la "maison du peintre", l'image que ce qui "résonne" dans sa tête : il y a des images visuelles, des images sonores, un univers de monstres dont on a l'impression d'entendre les hurlements et les rires.
Ici, l'importance des instruments de musique est évidente. Bosch attribuait un grand rôle à la musique qui accompagnait la vertu comme le péché, le paradis comme l'enfer. La gamme des instruments est très vaste : un homme est crucifié sur les cordes d'une harpe ; un autre est attaché à un luth à la merci d'un dragon ; un être monstrueux enfourche une vielle et chante en lisant les notes écrites sur le derrière d'un troisième homme ; un démon en forme d'insecte joue d'un gros tambour bleu... Un concerto d'êtres effroyables dont la musique grince horriblement...
Au symbolisme de la plante, il faut ajouter celui des oiseaux qui remplissent ce tableau - comme d'ailleurs la plupart des œuvres de l'artiste. Remarquons en particulier la corneille mantelée qui enfile ses proies sur des épines et qui ferait allusion aux pensées sur la mort qui agitent l'âme du saint. Mais l'ensemble de la composition est dominé par les larges volutes d'un chardon, contrastant singulièrement avec le milieu environnant. Certains y ont vu la description des fruits du désert dont le saint se nourrit. Mais il est très probable que le chardon soit le symbole de la tentation et du mal, à opposer à la méditation et au bien ; l'agneau, en bas, est sans doute une allusion à l'Agneau.