Altruistes et psychopathes, leur cerveau est-il différent du nôtre ?

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Altruistes et psychopathes, leur cerveau est-il différent du nôtre ?

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Voici le prologue d'un livre qui fait réfléchir.
Souvent je me suis posé la question : "quelle est l'origine de l'altruisme, l'empathie, la compassion ?"
La peur n'est-elle pas la plus puissante des éducatrices ?
altruistes et psychopathes.jpg
SOMMAIRE
Dédicace
Prologue
1. Le sauvetage
2. Héros et antihéros
3. Le cerveau psychopathique
4. Le bon côté de la chose
5. Qu’est-ce qui fait un altruiste ?
6. Le lait de la gentillesse humaine
7. Pouvons-nous être meilleurs ?
1. Nous sommes déjà bien meilleurs que ce que nous pensons
2. Prendre soin des autres demande plus que de la compassion
3. La solution n’est pas dans une plus grande maîtrise de soi
4. Des changements culturels clés font que nous sommes plus portés à prendre soin d’autrui
8. Mettre en œuvre l’altruisme
Notes bibliographiques
Remerciements



À l’homme dont le courage et la compassion admirables ont inspiré ce livre et aux nombreux autres altruistes dont les actes ont pu toucher et inspirer d’autres personnes dans leur vie.


PROLOGUE

Il n’y a guère de doutes que les parents les plus sympathiques et les plus gentils, ou les plus fidèles à leurs amis, n’ont pas eu plus d’enfants que les parents égoïstes ou perfides de la même tribu. Celui qui a été prêt, comme tant de primitifs ont pu l’être, à sacrifier sa vie plutôt que de trahir ses proches ne laissera souvent aucune descendance pour transmettre sa noble nature.
Charles Darwin, La Filiation de l’Homme et la sélection liée au sexe

« Ce que j’aime le mieux, c’est quand les gens disent :
“Oh, je ne pourrais jamais faire ça.” Eh bien, c’est n’importe quoi. »
Harold Mintz, donneur altruiste de l’un de ses reins, à propos de son geste


Lorsque, en 1934, l’entnomologiste Antoine Magnan décida d’écrire une étude sur le vol des insectes1, il se heurta à un problème de taille. Après avoir fait une série de calculs avec un ingénieur nommé André Saint-Lagué, il trouva que, vu les lois de l’aérodynamique, les insectes ne devraient pas voler. Légèrement dépité, il écrivit : « J’ai appliqué les lois de la résistance de l’air aux insectes et je suis arrivé à la conclusion avec M. St-Lagué que leur vol est impossible ».

Et pourtant, ils volent.

Les théoriciens conspirationnistes adorent se servir de cette contradiction apparente (parfois présentée comme limitée aux abeilles) pour déclarer que les recherches en physique ou en biologie ne mènent à rien. Pour certains fervents adeptes de la religion, c’est bien la preuve d’une puissance supérieure. Mais les scientifiques sont des gens patients et le temps joue pour eux.

Le constat de Magnan n’a pas fait conclure aux entomologistes que le vol des insectes devait être une illusion ou résulter de forces surnaturelles. Ils n’en ont pas déduit non plus que les lois de l’aérodynamique n’avaient aucune valeur. Ils savaient que cette contradiction serait un jour résolue et attendaient simplement d’avoir de meilleurs moyens de mesurer les propriétés du vol des insectes et ses ressorts dynamiques.

L’énigme a été résolue quelques décennies plus tard après l’invention de la photographie à haute vitesse. Les insectes, abeilles comprises, volent parce que leurs ailes battent très vite, deux cent trente coups rapides à la seconde, tout en faisant une rotation dans l’air en forme de 8 autour de leur point d’attache. Ce mouvement crée un tourbillon de la taille de l’aile qui génère assez de portance pour soutenir leur corps dodu. Une aile de robot programmée pour opérer exactement de la même manière donne le même résultat, confirmant que vol des insectes et lois de la physique sont bien compatibles.

Une autre contradiction apparente aux lois de la nature, peut-être encore plus troublante que le vol des insectes, est celle de l’existence de l’altruisme.

La théorie de l’évolution par la sélection naturelle a toute la solidité d’une loi scientifique. Mais comme Charles Darwin, le père de cette théorie, l’a remarqué il y a près de cent cinquante ans, cette sélection naturelle aurait dû faire disparaître tous les altruistes depuis longtemps. Un individu qui se sacrifie pour aider une autre personne agira à merveille pour augmenter les chances de survie d’autrui mais pas tellement pour les siennes. Au cours de l’histoire humaine, ceux qui ont sacrifié leurs propres adaptations évolutives au profit des autres ont dû être dépassés et finalement remplacés par ceux qui ne pensaient qu’à eux.

Et pourtant, l’altruisme existe.

J’en ai fait directement l’expérience. Quand j’avais dix-neuf ans, un inconnu altruiste m’a sauvé la vie, sans y gagner autre chose que les risques qu’il a pris pour cela. Et ce n’était qu’une personne parmi beaucoup d’autres. Chaque année, des dizaines d’Américains sont décorés de la médaille du Carnegie Hero Fund pour avoir sauvé la vie d’inconnus en risquant la leur d’une manière extraordinaire. Chaque année, plus de cent Américains sont opérés, avec les risques non négligeables que cela comporte, pour faire don d’un rein à quelqu’un d’autre, et souvent de manière anonyme. Des millions de gens à travers le monde donnent leur moelle osseuse ou leur sang. Ce sont de petits sacrifices, bien sûr, mais dont le but n’est pas moins noble, celui d’aider une personne dans le besoin.

Jusqu’à présent, ce genre de gestes ne s’expliquait pas très bien du point de vue scientifique. Depuis l’époque de Darwin, les biologistes ont développé des modèles pour rendre compte des comportements altruistes, mais ces derniers ne concernaient que des parents proches ou des personnes appartenant au même groupe social. Par exemple, une forme d’altruisme envers sa famille peut s’expliquer par la valeur sélective inclusive. Celle-ci intervient quand le bénéficiaire d’un comportement altruiste partage assez de gènes avec son auteur pour compenser le risque pris. Elle peut expliquer pourquoi des animaux sédentaires comme les écureuils sonnent l’alarme à l’approche d’un prédateur. Ces cris attirent l’attention sur celui qui les émet tout en aidant les parents proches de la colonie à fuir le danger. Cette valeur sélective inclusive peut aussi expliquer pourquoi des personnes préfèrent donner un organe à un parent proche plutôt qu’à un ami ou à un étranger. Si vous donnez votre rein à votre sœur et qu’elle peut ensuite avoir des enfants, ces derniers pourront transmettre une partie de vos gènes. Certes, vous n’allez pas retirer un avantage direct de votre générosité, mais vos gènes le feront, ce qui rend ce risque utile du point de vue évolutif.

Qu’en est-il de l’altruisme envers des personnes sans lien de parenté ? Il peut alors s’agir de l’altruisme réciproque, fondé sur l’espoir que son bénéficiaire retournera un jour le service rendu. Les chauves-souris vampires, par exemple, régurgitent le sang de leur repas pour nourrir d’autres congénères non apparentés de la colonie qui n’ont pu trouver à se nourrir et risquent d’en souffrir. Cette générosité finit par payer malgré tout. Les chauves-souris auront plus de chance de recevoir un repas chaud à l’avenir de la part de celles qu’elles ont déjà pu nourrir. Les gens effectuent en permanence de tels actes de réciprocité, la régurgitation mise à part bien sûr. Vous avez probablement déjà payé un café à un collègue en pensant que ce service sera un jour retourné. L’altruisme réciproque bénéficie pratiquement toujours à une personne du même groupe social, laquelle sera plus disposée à rendre la pareille par la suite qu’une personne de passage. Cette forme d’altruisme est en fait une forme de récompense différée dont l’altruiste finit par bénéficier même si c’est après un certain temps.

Les altruismes fondés sur les liens de parenté ou la coopération sont répandus et correspondent à une stratégie biologique valable. Sans eux, les espèces sociales n’existeraient probablement pas. Beaucoup d’ouvrages explorent ces formes d’altruisme en détail. Pourtant, elles reposent d’une certaine manière sur l’égoïsme. L’altruisme pratiqué à l’égard de nos proches vise directement à favoriser nos gènes, tandis que celui de la coopération va nous être encore plus directement profitable. Ces deux formes n’expliquent donc pas l’altruisme révélé par le don gratuit d’organe, celui des héros Carnegie ou de l’homme qui m’a un jour secourue. Dans ce cas, son auteur risque volontairement sa vie pour sauver non pas un parent ou un ami mais un inconnu. Et il le fera sans l’espoir d’une quelconque rétribution, que ce soit pour ses gènes ou lui-même. En fait, ce sacrifice a souvent un prix élevé. Qu’est-ce qui peut alors expliquer un tel geste ?

Comme dans le cas du vol des insectes, la contradiction apparente entre cet altruisme et les connaissances scientifiques actuelles peut inciter des gens à chercher d’autres explications. Pour certains, tout altruisme est une illusion. Aussi altruiste que puisse paraître une action, aussi risquée soit-elle et aussi minime que puisse être sa rétribution, cela ne reviendra à satisfaire qu’une forme déguisée d’intérêt personnel. Les sauveteurs héroïques rechercheraient juste l’excitation de l’action, les donneurs de rein l’admiration du public ; d’autres, invoquant des forces surnaturelles, les appellent respectivement « anges gardiens » ou « saints ». Ces termes, qu’ils soient métaphoriques ou pas, suggèrent que ce qui motive ces personnes ne peut s’expliquer scientifiquement. Mais les scientifiques sont des gens patients et le temps joue pour eux.

Des techniques innovantes d’études en psychologie et du comportement humain sont apparues ces dernières années. Elles comportent de nouvelles méthodes pour mesurer et manipuler l’activité cérébrale, pour recueillir l’information génétique et pour comparer les comportements humains et animaux. La rencontre de disciplines déjà bien établies a fait jaillir des domaines entièrement nouveaux comme les neurosciences sociales et la neurogénétique cognitive. De même que la photographie à haute vitesse et la robotique ont pu apporter de nouvelles réponses à la question du vol des insectes, cette profusion de nouvelles techniques a fourni un nouvel éclairage sur l’altruisme humain.

C’est l’acte de mon propre sauvetage qui m’a donné l’idée d’exploiter ces nouvelles approches pour mieux comprendre l’origine de l’altruisme. Peu après, encore étudiante, je me suis alors orientée vers la psychologie. J’ai commencé par faire des recherches en laboratoire au Dartmouth College puis effectué mon travail de thèse à l’université Harvard. En écrivant ma thèse, j’ai fait une découverte fortuite. Toutes les tentatives de trouver des marqueurs caractéristiques des gens très altruistes avaient jusqu’à présent échoué. J’ai alors découvert qu’il existait un lien très fort entre altruisme et capacité à identifier les stigmates de la peur chez les autres. Ceux qui arrivent le mieux à deviner les expressions de peur sur les visages sont aussi ceux qui donnent le plus d’argent à des inconnus lors d’expériences en laboratoire ou qui passent le plus de temps pour les aider. La capacité d’une personne à identifier la peur des autres prédit mieux son altruisme que son sexe, son humeur ou le degré de compassion qu’elle déclare, et cette relation perdure au fil des études menées sur le sujet. La question qui demeurait néanmoins était : pourquoi ?

La réponse a commencé à émerger lorsque j’ai poursuivi mon travail dans le laboratoire de James Blair, à l’Institut national de la santé mentale (NIMH) situé à Bethesda, dans le Maryland. Je l’ai rejoint au moment où il était embarqué dans la première d’une série d’études d’imagerie cérébrale sur ce qui fait réagir les adolescents psychopathes. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IMRf) permet de scanner le cerveau d’adolescents à risque de devenir psychopathes. L’étude révéla qu’une structure de leur cerveau appelée amygdale, située au plus profond du cerveau et responsable des fonctions émotionnelles et sociales de base, présentait une anomalie de fonctionnement. Les adolescents qui montraient peu d’empathie ou de compassion pour les autres avaient une amygdale peu sensible aux marques de peur affichées par les autres. De plus, ce type d’anomalie semblait aussi les empêcher de reconnaître les expressions de peur. Si ce dysfonctionnement de l’amygdale prévenait toute empathie et capacité de déceler la peur chez les autres, cette structure ne pouvait-elle pas jouer aussi un rôle majeur dans l’altruisme, dont celui, extraordinaire, qui m’avait sauvé la vie ?

Pour s’en assurer, il fallait réunir de vrais altruistes et scanner leur cerveau, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Après ma période de recherche post-doctorale au NIMH, j’ai obtenu un poste de professeur à l’université Georgetown où nous nous sommes, mon groupe de recherche et moi-même, fixé pour objectif de recruter dix-neuf donneurs de rein altruistes. Certains ont répondu à des annonces de personnes qui cherchaient un donneur, d’autres avaient appelé un centre de transplantation pour proposer un don anonyme et sans conditions de rein à toute personne en ayant besoin. Aucune de ces personnes n’avait reçu de dédommagement pour le dérangement, la douleur liée à la chirurgie et les risques, même légers, de complications sévères ou de décès. Ils ne furent même pas dédommagés pour leurs journées de travail perdues ou les dépenses effectuées pour leurs trajets. De prime abord, ces altruistes extraordinaires avaient peu de choses en commun, c’étaient des hommes et des femmes qui différaient aussi bien par leur âge que par leur culture religieuse et leurs convictions politiques. Ils provenaient de tout le pays et racontèrent des histoires très variées pour expliquer les raisons de leur geste. Cependant, notre étude a montré qu’ils avaient tous quelque chose en commun : une réponse inhabituellement forte de leur amygdale en réponse à la vue de la peur chez d’autres personnes ainsi qu’une capacité accrue de la reconnaître.

Ce facteur de la peur va nous emmener au plus profond du cerveau pour comprendre pourquoi la sensibilité à la peur chez les autres est un marqueur aussi puissant de l’altruisme comme de la psychopathie. Mes recherches, en lien avec les connaissances récentes fournies par l’imagerie cérébrale et la génétique, ont apporté un nouvel éclairage sur l’origine de l’empathie, de la psychopathie et de l’altruisme. Ce livre aborde comment notre espèce s’est dotée de cette capacité à prendre soin des autres. Nous allons pour cela faire remonter l’altruisme de l’homme moderne à l’apparition des premiers mammifères, quand a émergé le désir chez eux de s’occuper de leur progéniture et de la protéger au lieu de la laisser se débrouiller seule. Cette inclination provient d’une substance chimique du cerveau appelée ocytocine. Capable d’agir fortement sur l’amygdale, elle pourrait convertir le désir d’éviter la détresse chez l’autre en celui de l’aider. De nouveaux travaux suggèrent que la psychopathie pourrait résulter de l’arrêt de ce processus mis en place dans le cerveau pour prodiguer des soins aux petits.

Cela nous a amenés, mes collègues du NIMH et moi, à mettre au point un protocole d’administration de l’ocytocine par voie nasale à des volontaires qui venaient au centre clinique du NIMH. Nous avons ainsi pu évaluer comment l’ocytocine affectait des mécanismes sociaux primaires à la base de l’altruisme comme la sensibilité aux émotions des autres et aux visages des bébés. Pour étendre la portée de nos travaux, j’ai recherché les histoires de mammifères tels le lion ou le chien qui ont accompli des actes extraordinaires pour s’occuper d’autres progénitures que les leurs. Comprendre comment de redoutables carnivores en viennent à nourrir et à protéger d’autres animaux tels que des antilopes ou des écureuils qu’ils chassent et tuent par ailleurs pourrait nous éclairer sur des actes tout aussi extraordinaires d’altruisme chez l’être humain, et sur la manière de les encourager. Avec ce livre, on peut se demander si nous autres humains, dans la mesure où une lionne peut parfois s’allonger au côté d’une antilope (quand ce n’est pas d’un agneau), pouvons aussi apprendre à être plus altruistes envers les autres, et si nous devons le faire ou pas.
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