La Doctrine secrète de l’Anahuac

 

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14. Le Binaire Serpentin

Le binaire serpentin dans le Mexique préhispanique est une chose qui à coup sûr nous invite à la réflexion.

Les deux serpents Ignés ou Xiuhcoatls qui entourent gracieusement le Soleil dans le calendrier aztèque, entouraient également le temple principal de la grande Tenochtitlan formant le fameux Coatepantli ou « Mur de Serpents ».

Le serpent aztèque apparaît constamment dans des situations extraordinaires qui, comme nous l’avons dit précédemment, bouleversent intégralement son déterminisme organique : la queue représentée par une deuxième tête prenant d’insolites attitudes, nous conduit, par simple déduction logique, au binaire serpentin.

La double tête, qui rappelle tout à fait clairement la figure du serpent circulaire, du serpent gnostique en train de dévorer sa propre queue, apparaît sur les murs sacrés du Temple de Quetzalcóatl (ruines de Xochicalco).

Les binaires serpentins, soit qu’ils dansent exotiquement, enroulés dans la forme mystique du Saint-Huit, soit qu’on les représente enchaînés l’un à l’autre et formant un cercle, à la manière maya, etc., nous indiquent quelque chose de mystérieux, d’extraordinaire et de magique.

Il n’est pas inutile dans ce traité de souligner avec insistance le double caractère ésotérique du serpent.

On doit distinguer le serpent tentateur de l’Éden et le serpent d’airain qui guérissait les israélites dans le désert ; l’horripilant Python qui se vautrait dans le limon de la terre et qu’Apollon irrité blessa de ses dards, et cet autre qui s’élevait sur la verge d’Esculape, le Dieu de la Médecine.

Lorsque le Serpent Igné de nos pouvoirs magiques monte par le canal médullaire spinal de l’organisme humain, il s’agit de notre Divine Mère Kundalini.

Quand le Serpent Igné descend en se précipitant depuis l’os coccygien vers les enfers atomiques de l’homme, il s’agit de l’abominable organe Kundartigateur.

Le Vénérable Maître « G » (Georges Gurdjieff) est tombé dans la très grave erreur d’attribuer au Serpent ascendant (Kundalini) les pouvoirs hypnotiques et horribles du Serpent descendant (l’abominable organe Kundartigateur).

Kundalini est un mot composé : Kunda vient nous rappeler l’abominable organe Kundartigateur, et lini est un terme atlante qui signifie « fin ». Kundalini, en haute grammatique, peut et doit donc se traduire ainsi : « Fin de l’abominable organe Kundartigateur. »

L’ascension victorieuse de la Kundalini le long du canal médullaire spinal marque la fin de l’abominable organe Kundartigateur.

Indubitablement, le Docteur Maurice Nicoll et Ouspensky, le grand initié, ont accepté cette erreur du Maître « G ».

Ce Maître considérait que sa Mère Cosmique était le Prana sacré. Si le Maître « G » avait étudié le binaire serpentin sur les murs sacrés des temples mexicains, toltèques, mayas, etc., il n’aurait indubitablement jamais commis cette confusion.

Le Yoga oriental a effectué des analyses exhaustives sur ce Feu serpentin annulaire (Kundalini) qui se déroule vers le haut dans le corps de l’ascète, cependant il n’a presque pas parlé du Serpent descendant, ou « queue démoniaque », dont la force électrique maintient dans une transe hypnotique permanente toute l’humanité souffrante.

Si ces « mammifères intellectuels » qui peuplent la face de la Terre pouvaient voir avec une entière clarté méridienne dans quel état lamentable ils se trouvent, ils chercheraient désespérément la manière de se délivrer.

Aussitôt que le pauvre animal intellectuel s’éveille, ne serait-ce qu’un instant fugace, et ouvre ses yeux à la crue réalité de la vie, le formidable pouvoir hypnotique du terrible serpent de l’abîme, revient immédiatement à la charge avec une force multipliée et la malheureuse victime tombe endormie une autre fois, en rêvant qu’elle est éveillée ou sur le point de s’éveiller.

Seul le gnostique sincère qui comprend intégralement la difficulté d’éveiller la conscience sait que ceci n’est possible que sur la base de travaux conscients et de souffrances volontaires.

La grande vipère infernale connaît tout le modus operandi de l’imagination mécanique (jamais nous ne nous prononcerions contre la « diaphanéité » ou la « translucidité » qui caractérise l’imagination objective, consciente).

La couleuvre abyssale, par le moyen de l’imagination mécanique, qui est son agent primordial, travaille en accord avec les intérêts de la nature et nous maintient enfouis dans un état de transe hypnotique profonde.

À l’aide des mécanismes de la fantaisie, nous justifions toujours nos pires infamies, nous éludons nos responsabilités, nous cherchons des échappatoires, nous nous considérons nous-mêmes beaucoup, nous avons le sentiment le plus élevé de notre propre importance, nous nous croyons justes et parfaits.

Il y a tout lieu de penser qu’il y a des forces pour lesquelles il est utile et profitable de maintenir le « mammifère rationnel » dans un état de sommeil hypnotique et d’empêcher qu’il voie la vérité et comprenne sa situation dans la vie.

Manifestement, la plupart de nous recourent à de telles excuses et ceci de telle manière que, sous la subtile et idiote activité de la justification du Moi-même, et avec la complicité de l’imagination mécanique, jamais nous ne soupçonnerions, en réalité, l’existence intime de nos très naturelles erreurs psychologiques.

Par exemple, nous pouvons être cruels avec notre épouse, nos enfants, nos parents, tout en l’ignorant réellement.

Le plus grave c’est que nous permettons que cette situation perdure, surtout parce que cela nous plaît et que c’est tellement plus facile, et si on nous accuse de cruauté, nous allons probablement sourire en pensant qu’on ne comprend pas notre justice, notre miséricorde et notre amour infini.

Nous sommes étranglés par les anneaux horripilants du Grand Serpent, mais nous nous croyons libres.

La légende des siècles dit que lorsque Krishna, le grand Avatar hindou, eut atteint l’âge de quinze ans, il partit à la recherche du patriarche Nanda et lui demanda :

— Où se trouve ma Mère ? (le Serpent ascendant Kundalini)

— Mon fils, ne me le demande pas, répondit le patriarche, ta Mère est retournée au pays d’où elle est venue, et je ne sais pas quand elle reviendra.

Krishna sombra dans une profonde tristesse, il abandonna ses compagnons et erra plusieurs semaines aux environs du mont Mérou.

Il tomba soudain sur un vieillard qui se tenait là, debout sous un cèdre gigantesque. Ils se regardèrent tous les deux pendant un long moment.

— Qui cherches-tu ? Lui demanda l’anachorète.

— Ma Mère ! Où donc vais-je la rencontrer ?

— Près de Celui qui ne change jamais (le Père qui est en secret).

— Mais comment vais-je le trouver ?

— Cherche, cherche toujours et sans répit (à l’intérieur de toi-même). Tue le taureau (l’Ego animal) et écrase le serpent (de l’abîme).

Krishna fait ensuite remarquer que la forme majestueuse du vieillard devenait transparente, puis tremblotante, jusqu’à s’évanouir parmi les branches, telle une vibration lumineuse.

Lorsque Krishna descendit du mont Mérou, il paraissait radieux et transfiguré ; une énergie magique jaillissait de son être.

— Allons combattre les taureaux et les serpents (de l’abîme) ; allons défendre les bons et subjuguer les méchants, dit-il à ses compagnons.

Avec l’arc et l’épée, Krishna et ses frères, les fils des pasteurs, abattirent dans la forêt toutes les bêtes féroces.

Krishna tua et dompta des lions, fit la guerre aux rois dépravés et libéra les tribus opprimées, mais la tristesse envahit le fond de son cœur.

Son âme n’avait qu’un désir profond, mystérieux : rencontrer sa Divine Mère Kundalini et aller retrouver le sublime vieillard (son Maître) ; mais en dépit de la promesse que celui-ci lui avait faite, et malgré qu’il avait beaucoup lutté et vaincu, il ne pouvait y parvenir.

Un jour il entendit parler de Kalayoni, le roi des serpents, le magicien noir gardien du temple de Kali (Coatlicue, Proserpine, Hécate), l’effroyable Déesse du Désir et de la Mort, et il demanda à lutter avec le plus terrifiant de ses serpents, ce serpent éternel (l’abominable organe Kundartigateur) qui avait déjà dévoré des centaines d’excellents guerriers, dont la bave rongeait les os, et dont le regard semait l’épouvante dans les cœurs.

Des profondeurs du temple de Kali (la Reine des Enfers et de la Mort, celle qui préside à tous les crimes), Krishna vit sortir, après l’invocation magique de Kalayoni, un long reptile bleu vert.

Le serpent redressa lentement son grand corps, hérissa de façon horrifiante sa crinière rousse, et ses yeux pénétrants étincelèrent épouvantablement sur sa tête de monstre aux écailles éclatantes.

— Ou tu l’adores ou tu péris, lui dit le Magicien.

Le serpent mourut des mains de Krishna, du saint héros qui ne connaissait pas la peur.

Lorsque Krishna eut anéanti héroïquement le Grand Serpent gardien du temple de Kali, l’horrible Déesse du Désir et de la Mort, il fit des ablutions et fut en oraison pendant un mois au bord du Gange, après s’être purifié à la lumière du soleil et dans la divine pensée contemplative du Mahadeva.

L’horripilante vipère infernale n’accepterait jamais le Sahaja Maïthuna, la « chasteté scientifique », parce que cela va à l’encontre des intérêts de la nature.

Ceux qui ne réussissent pas à se faire dévorer par le Divin Serpent Kundalini seront engloutis par l’effrayant Serpent Python.

Le guerrier qui parvient à tuer la couleuvre infernale entrera au palais des Rois ; il sera oint comme Roi et Prêtre de la nature, selon l’Ordre de Melchisédech.

Cependant, ce n’est certes jamais une entreprise facile que celle de se rebeller contre les atomes de l’hérédité, contre la luxure que nous avons héritée de nos ancêtres, contre l’effroyable vipère infernale que nos aïeux ont apportée au monde et que nous transmettrons à nos enfants et aux enfants de nos enfants.

Cette chose que l’on porte dans la chair, dans le sang et dans les os, est définitive, et se révolter contre elle s’avère épouvantable.

La doctrine de l’annihilation bouddhique est fondamentale. Il nous faut mourir à chaque instant ; c’est seulement avec la mort qu’advient le nouveau.

 

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